Contrairement à ce qu’avancent de nombreux commentateurs de la conquête spatiale américaine, qui ont une vision scientifique, administrative, voire politique du sujet, les avancées techniques engendrées par l’exploration spatiale, aussi réelles soient-elles, sans être révolutionnaires d’ailleurs, ne peuvent en rien justifier les dizaines de milliards de dollars investis chaque année par la nation américaine. Aucun calcul d’investissement, aussi risqué soit-il, ne peut justifier de tels engagements financiers. Et en particulier dans un pays, les Etats-Unis, où les mots taxe et administration effraient le citoyen à peu près dans les mêmes proportions que lorsqu’il s’agissait pour un instituteur de Jules Ferry d’entrer dans une église. Aussi, seul un acte de foi, mieux encore, seule une pulsion extrêmement profonde peut justifier un tel engagement, verser autant d’argent public abondé par le contribuable américain à une administration d’Etat, la Nasa. Un projet à la motivation toute scientifique n’enverrait pas dans l’espace des hommes ou des femmes, seulement des robots, des sondes, beaucoup moins coûteux. Cela a d’ailleurs été le choix des Européens. Non la conquête spatiale américaine prend sa source autre part. Dans l’esprit américain. D’abord dans la science-fiction américaine de l’âge d’or, celle qui prend son essor dans les années trente de l’autre côté de l’Atlantique. Sans science-fiction, pas de conquête spatiale. Et justement cette science-fiction est obsédée par l’espace, la conquête spatiale, mais plus encore par la colonisation de l’espace. Car c’est là le véritable objectif de cette science-fiction, le véritable objectif des Américains, coloniser l’espace, comme ils colonisèrent l’Amérique du Nord, avec à la clef les bienfaits qu’ils connaissent bien, pour les avoir vécu, pour les avoir fait rêver, une promesse d’enrichissement personnel sans limite, une relation extatique avec une nature sublime et les vertiges d’un développement humain nouveau. C’est donc bien l’esprit, celui des auteurs de science-fiction, qui a tracé la route vers l’espace, et uniquement vers l’espace. Mais pourquoi ? La seule volonté de ces pionniers, de ces prophètes d’un nouveau genre aurait-elle suffit ? Probablement pas. La réponse tient en grande partie d’abord dans la chronologie des événements. La science-fiction prend son essor dans les années trente, les années de l’immense crise économique de 1929, et puise dans le désarroi du peuple américain, la fin d’un monde marqué par vingt-cinq pourcent de chômage. Et la fin de ce monde appelait une réponse simple de la part de celui qui veut survivre, la réponse que choisit la meute de loups qui voit son gibier se raréfier sur son territoire, trouver un nouveau monde, un nouvel espace qui permettra de renouer avec les bienfaits de la colonisation, avec un nouvel âge d’or. La Californie et sa route 66 ne seront qu’un pis aller. Ce sera l’espace et les routes interstellaires, et les auteurs de science-fiction vont se mettre au travail, dessiner les voies et moyens de cette nouvelle colonisation. La conquête spatiale américaine tire bien son origine dans la crise économique de 1929. Mais voilà, ce projet pharaonique, passer la barrière de l’espace, ne peut être atteint par les seuls moyens de l’entreprise privée. Seul un effort financier de la nation entière est nécessaire, une mutualisation des moyens que seule une administration d’Etat peut incarner. De fait, la course avec l’URSS qui démarre au sortir de la seconde guerre mondiale, d’abord pour s’accaparer les scientifiques nazis, n’est dans cette optique, qu’anecdotique, car la science-fiction américaine prend son essor dans les années trente, bien avant la guerre froide et se prolongera bien après que l’empire soviétique ne s’achève. Alors, oui, cette concurrence a été instrumentalisée, comme le sera celle d’avec la Chine, mais bien après encore la conquête continuera, encore et encore. Ces confrontations entre nations resteront, à l’échelle du projet qui se bâtit sous nos yeux, des anecdotes, des péripéties d’une très longue histoire.
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